Déstabilisant… C’est le ressenti immédiat face à ce livre. Une réaction instinctive parce qu’il parle d’une chose rare, presque tabou, à savoir l’addiction sexuelle chez une jeune femme qui cède aux avances, quand elle ne les provoque pas, de nombreux hommes de passage. Une femme esclave de ses pulsions que le vulgus pecus affuble d’adjectifs injurieux, alors que la version masculine de ces comportements suscite, plus souvent, des commentaires flatteurs, ou au pire, une certaine forme d’indulgence. Après tout, les femmes ont acquis leur indépendance, la liberté vis à vis des choses du sexe et la maîtrise de leur corps. Pourquoi ne seraient-elles pas aussi à l’affût du plaisir à l’état brut ?
Pourquoi se sent-on, malgré tout, un peu gêné par l’histoire d’Adèle ?
Force est de reconnaître que les vieux schémas de pensée ne sont pas si loin, même si l’on s’en défend vigoureusement. Une femme est, tour à tour, une épouse, une mère, une amante. Toujours en recherche d’équilibre… Mais si déséquilibre il doit y avoir, on le voit consensuellement se faire aux dépens de l’amante. Cliché machiste ? Vision éculée et injuste ? Sûrement, mais ce n’est là que l’héritage de siècles patriarcaux où la maternité a toujours été portée au pinacle. Or, Adèle néglige un peu son fils, s’ennuie avec son époux et n’est avec lui que dans la posture, pour n’être qu’une boule de feu sensuelle cherchant à éteindre l’incendie de ses cellules auprès d’autres hommes. Un comportement pathologique ( pas plus que ceux des hommes au demeurant ) que Leila Slimani évoque avec une grande douceur, et une empathie contagieuse pour son héroïne. La langue est belle, simple, l’expression des états d’âme d’Adèle emporte le lecteur dans une radiographie du cerveau féminin totalement troublante. Le plaisir au féminin est dévoilé comme le prisme d’un diamant qui brillerait de tous ses éclats à la vue des hommes, sans qu’ils puissent en distinguer clairement chacune de ses facettes. Leïla Slimani raconte, mais elle n’explique pas… Son personnage est une femme en souffrance, qui refuse de s’opposer à son besoin intime. Ce n’est que la divulgation de la chose, la fin du secret, qui va provoquer une sortie de cet état de transe. Avant une éventuelle rechute que l’on subodore sans en avoir la preuve…
Leïla Slimani m’avait impressionné dans une interview où elle dénonçait la violence des réseaux sociaux, et le manque de nuances dans l’expression collective de nos opinions. Quelle justesse dans l’analyse ! Cette femme réalise un petit bijou féministe à raconter cette « déviation » qui ne l’est qu’au sens où elle ne rend pas heureuse la principale intéressée. D’ailleurs, pour compenser cette liberté totale qu’elle s’autorise, Adèle a une vision rétrograde de son couple; elle veut être sous sa dépendance financière, rêve d’être épouse au foyer, à la merci de son homme qui finira par l’emmener avec lui « s’enterrer » en Province.
La liberté conduit-elle à une certaine forme d’asservissement ? Bon sujet de philo. Livre qui mérite en tout cas l’attention. Et son auteur l’admiration pour son audace, d’autant plus remarquable au vu de ses origines.