Il est mort le grand homme… La France se prête pour l’occasion à ce qu’elle sait le mieux faire : la célébration post mortem… Les mêmes qui disaient pis que pendre de lui vivant, deviennent des louangeurs patentés si tôt son trépas annoncé. Ils défilent devant la dépouille ; ils pleurent l’homme public ; ils le décrètent – bien sûr ! – « meilleur président » depuis de Gaulle…
Je ne me prêterai pas à ce simulacre. J’ai de la tristesse pour la disparition de l’homme et toute ma compassion accompagne bien entendu sa famille. Mais je n’aurai pas de larmes de crocodiles pour déplorer sa disparition. Je n’ai jamais aimé l’homme, et sa mort ne change rien à l’affaire.
Chirac est l’incarnation de tout ce que je déteste en politique : le creux, le vide, la vacuité de la quête du pouvoir pour le pouvoir… Il a grimpé toutes les marches de la méritocratie républicaine, juste pour le plaisir de profiter de la vue de là-haut. 12 ans au sommet. C’est long pour de la simple contemplation !
Son bilan tient sur une feuille de papier à cigarette. Un succès : la non-participation à la guerre en Irak ; un coup culturel sans grande portée : la création du musée des Arts Premiers ; une faute sociale majeure : la disparition du service militaire qui avait pourtant le grand avantage de mixer les classes sociales dans un shaker pour en faire des Français au service d’une collectivité. C’est à peu près tout de ce qu’on peut retenir de lui… Chirac n’a jamais eu de volonté de réformer, ni de faire avancer le pays. Pas davantage de le faire rentrer dans la modernité. Sa seule période réformatrice se limite à la parenthèse libérale de 1986-1988, qu’il a soigneusement refermée après l’échec face à Mitterrand. Cette recette de circonstances qui ne reposait d’ailleurs sur aucune conviction de sa part, avait perdu tout crédit à ses yeux, puisqu’elle n’assurait pas une élection.
Il a donc préféré, par la suite, naviguer à vue. Raconter des carabistouilles aux Français, leur parler de pommes et de fracture sociale, pour s’empresser d’oublier ce discours après son élection. Comment les Français ont-ils, à ce point, tout oublié de ce caméléon flamboyant pour le vénérer aujourd’hui ? Notre mémoire collective est mitée, comme si nous avions 50 millions d’Alzheimer…
Hélas, s’il est tant aimé aujourd’hui, c’est bien l’illustration de notre maladie collective. Nous aimons les politiques qui ne font rien : Jacques Chirac, Nicolas Hulot, Jack Lang, Bernard Kouchner, tous princes du verbe et clochards de l’action politique. Sans parler de François Hollande qui vend des milliers de livres pour parler, sans honte au front, de son bilan proche de zéro.
Nous n’aimons jamais tant nos hommes politiques que lorsqu’ils nous bercent dans nos illusions et dans notre confort. Pathétique !… Là-haut, Clemenceau, de Gaulle, Moulin, Mandel et Pinay doivent éructer de colère devant le spectacle de halte-garderie qu’est devenu l’engagement politique.
Je n’oublie pas, pour ma part, que Chirac a fait perdre son camp en 1981, par simple ambition personnelle. Je n’oublie pas qu’il a eu les Français à l’usure, ces mêmes Français qui l’honorent tant aujourd’hui l’ayant rejeté par deux fois. Je n’oublie pas qu’il a gâché le courant très fort qui l’a porté au pouvoir en 2002, chance unique de rassembler au delà des clivages partisans… Non, on ne brigue pas la responsabilité de la nation juste pour faire ami-ami avec le peuple de France. Le président de la France ne peut avoir pour seule vocation de caresser les Français dans le sens du poil.
Espérons qu’il ne fasse pas école. Mais c’est hélas mal parti…