Ce livre fut pour moi l’occasion de découvrir Graham Greene, cet écrivain anglais francophile, ayant été espion dans ses jeunes années. « Un américain bien tranquille » a capté mon attention par ce choix de raconter l’Indochine des années de guerre. On parle si peu de cette période, en dehors du désastre de Dien Bien Phu.
Le roman est très déroutant. Si l’auteur arrive à camper merveilleusement bien le contexte historique et l’ambiance d’un pays qui se désagrège lentement sous les effets de la guerre civile, la trame de l’histoire est futile, voire anecdotique. Deux étrangers, Fowler, un reporter anglais cynique et désabusé et Pyle, un espion américain plein d’illusions, se disputent les faveurs d’une femme indochinoise Phuong, d’une grande beauté, mais personnage un peu falot qui semble ne chercher que le confort de vie qu’offre la compagnie d’un occidental. Une femme désirable qui offre du plaisir et sait bien préparer les pipes d’opium avec lesquels Fowler aime s’enfoncer dans les paradis artificiels. Des évasions virtuelles pour ne pas avoir à envisager un retour au pays auquel l’anglais ne peut se résoudre.
Derrière ce marivaudage à trois entre gentlemen courtois, quoique adversaires, il y a le compte-rendu de la déliquescence d’une colonie française, vue par des yeux extérieurs au conflit. Le roman prend là une plus grande consistance historique. Le contrôle du pays par les Français est instable. Chaque nuit apporte son lot de coups de main du Vietminh. Surtout – et ce fut là pour moi une découverte – le pays est divisé par différents groupes de pression qui affrontent, en même temps, Français et Viets. Convulsions tous azimuts d’un pays se cherchant un destin…
La charge contre la guerre est d’autant plus juste qu’elle est peu appuyée. Les morts, les attentats, les victimes civiles s’accumulent, mais semblent laisser les personnages indifférents. Les Français font le job comme des automates liés par leur mission. On ne comprendra pas comment ces soldats ont combattu comme des lions pour une cause qu’ils savaient perdue, alors que leurs grands frères, dix années auparavant, avaient très vite démissionné alors qu’ils défendaient la mère patrie.
Ce qui fait le sel de ce roman, c’est cet affrontement à fleuret moucheté autour d’une femme, dans un contexte de naufrage où tout part en capilotade. L’intime dans un contexte d’exception. Ce choc peut séduire, mais en l’espèce, le désordre amoureux n’est pas assez puissant. C’est juste un besoin de poursuite de la routine qui prime. Ce qui explique que je n’ai pas été plus que cela emballé par cette lecture.
Graham Greene nous plonge, quand même, dans un pays au bord du précipice. La route qui relie le Nord et le Sud est parsemée de miradors pour tenir ce cordon vital. Chaque nuit, des guérites tombent, et le passage où les deux rivaux se retrouvent réfugiés dans l’une d’entre elles, attaquée par des combattants communistes est un moment intense. Hélas, la guerre ne faisait que commencer, et après des Français valeureux, ce furent les Américains idéalistes qui allaient tenter de stopper la pieuvre rouge inexorable. Avec le succès que l’on sait… « Un Américain bien tranquille » nous conforte dans l’idée que le combat était perdu d’avance. C’est un beau témoignage où l’histoire, à mes yeux, supplante l’intérêt littéraire… Affaire de goût, j’en conviens, mais le style léger de l’auteur ne me découragera pas de continuer à découvrir ses autres romans….