Molière est dans le répertoire comme l’est l’Arc de Triomphe à Paris. Tellement énorme qu’on ne le voit plus. Le monument est entré dans le paysage comme un lieu familier auquel on s’est habitué. Mais qui prend la peine, en dehors des touristes, de lui rendre visite et de monter sur ses hauteurs pour admirer l’harmonieuse étoile des maréchaux de France ?
Molière, c’est la même chose. On croit tellement bien le connaître qu’on fait l’impasse sur ses pièces. Erreur grossière… Car entre le Molière des classes de 6ème et le Molière de la maturité, il y a un bail. Le texte est le même. Mais votre perception a changé. Vous ne voyez plus les pièces avec le même oeil. Et la causticité du texte vous agrée bien davantage, maintenant que vous savez en apprécier la charge.
Alors quand, en plus, c’est un comédien exceptionnel qui s’attèle à rendre hommage au texte, vous vous laissez happer au théâtre de Paris pour passer un délicieux moment avec « le Malade Imaginaire ». Bingo !…
La représentation est une réussite totale avec un Daniel Auteuil excellent dans le rôle le plus connu des pièces de Molière. Avec l’aide de costumes clinquants et joliment colorés, il donne de la rondeur aux jérémiades d’un sublime hypocondriaque et revitalise le rôle avec brio. Auteuil réussit à parfaitement retranscrire le ridicule du bonhomme. Il se met au service du texte avec une servilité et une humilité qui est la marque des grands comédiens.
Autour de lui, ils sont tous à l’unisson, même si sa fille qui joue le rôle de Toinette, la servante effrontée, n’est pas parfaite dans sa diction et mange quelques mots. C’est le seul bémol d’une pièce enthousiasmante qui brille par sa modernité. D’autant que le tableau final, assez inattendu, est d’une drôlerie débridée.
Il ne faut pas passer à côté de Molière. C’est notre auteur national-phare, celui qui fait un pendant parfait à Shakespeare de l’autre côté de la Manche. Molière sait saisir au vol tous les défauts de notre société, l’égoïsme, l’avarice, la fatuité, la bêtise… Il sait les dénoncer en quelques mots bien sentis qui suscitent le rire. A l’image de cette sublime déclaration d’amour de Thomas Diafoirus ( beau patronyme ) à la belle Angélique :
« Mademoiselle, ne plus ne moins que la statue de Memnon, rendait un son harmonieux, lorsqu’elle venoit à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d’un doux transport à l’apparition du soleil de vos beautés. Et comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j’appende aujourd’hui à l’autel de vos charmes l’offrande de ce cœur, qui ne respire, et n’ambitionne autre gloire, que d’être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, et mari. »