Un Goncourt de 150 pages au petit format. Voilà le rêve du lecteur moderne, économe de son temps… Mais cet atout de principe est gommé par le choix du sujet, une analyse critique de la montée du nazisme. Un sujet qui n’est pas consensuel, et qui aura sans doute détourné de nombreux lecteurs n’ayant pas pu « rentrer dans l’histoire ». D’ailleurs, il vaut mieux parler en l’occurrence d’Histoire car ce livre n’est pas un roman, mais un récit. Un récit au vitriol, porté par un style court, fort, percutant. Des mots sulfuriques pour dénoncer le manque de courage et de clairvoyance de quelques caciques face à l’extension malfaisante de la pieuvre nazie. Fort bien !… Il se trouve que je suis un passionné de cette époque, au point de m’être souvent posé la question : « qu’aurais-je fait si j’avais vécu à ce moment là ? ». Une question à laquelle, à 55 ans, je n’ai pas encore trouvé de réponse. Enfin, j’entends, de réponse objective et honnête.
Eric Vuillard n’a lui aucun doute. Et dans ce petit livret au style éblouissant par la concision de sa langue, il s’adonne à un vrai chamboule-tout sur quelques acteurs « influents » de l’époque qui ont fait preuve, à ses yeux, d’un crime : l’indolence intellectuelle et la cécité face à la perversion d’Hitler. Les principaux industriels allemands, le chancelier autrichien Schuschnigg le ministre anglais Hallifax, ou le premier ministre Chamberlain se font dézinguer à tour de rôle dans ce récit enlevé, bien documenté où l’on apprend beaucoup de choses. J’ai adoré le style et les formules qui claquent au vent, fut-il parfois un peu péremptoire. Quel talent !…
Cela dit, j’ai du mal à comprendre le sens de ce livre. Pouvait-on arrêter Hitler ? Oui semble vouloir nous dire l’auteur. Mais comment des industriels pourraient-ils être plus courageux que les millions d’Allemands qui se sont couchés devant Hitler, et l’ont élu au suffrage universel ? Comment un chancelier autrichien pouvait-il seul s’opposer au tyran, alors que dans son pays même, la pieuvre avait déjà étendu son influence. Quant aux Anglais et aux Français, ils ont tenté jusqu’au bout de préserver la paix, conformes en cela à leurs opinions publiques, majoritairement pacifistes. « Les cons, s’ils savaient » est la plus belle phrase de Daladier. Elle résume l’incapacité d’une classe gouvernante à s’engager dans la voie d’une nouvelle guerre, après la der des der. Finalement, le seul à avoir eu la bonne vision, c’était Churchill. Mais Churchill était un ovni….
Je ne partage donc pas l’analyse grinçante d’Eric Vuillard, et je m’élève contre un jugement contemporain d’événements et de personnages qui portaient tous la part d’indécisions et de doutes de l’époque. « L’ordre du Jour » est un beau livre, mais c’est malheureusement un exercice un peu vain…