Version littéraire du jeu de quilles

« Les Refuges » : ce polar très réussi m’a fait penser à ces poupées russes qui s’emboitent les unes dans les autres, au point qu’on ne sait jamais si on a atteint la dernière. « Les refuges » participent de la même expérience, un récit qui s’imbrique dans un autre, lui-même qui devient le réceptacle d’une autre vision de l’affaire, et ainsi de suite, jusqu’au dénouement final qui prend une hauteur inattendue. C’est puissant, sophistiqué, très travaillé l’air de rien, en un mot, un roman qui surprend, captive et parfois indispose. Une belle réussite…

Comment en dire plus sans altérer le plaisir du lecteur ?

Disons que c’est un polar qui traite de la disparition inexpliquée d’enfants et les traumatismes que cela provoque chez les proches. Le livre a été écrit par un auteur qui a dû fréquenter assidument les cliniques psychiatriques traitant les traumatismes post-disparitions. A moins qu’il ait une imagination débordante ( les deux étant compatibles ). « Les refuges », le titre du livre, font référence aux mécanismes d’évasion psychologiques qui permettent aux victimes ( et aux proches ) de survivre au choc d’événements trop lourds à porter. En fait, c’est à un voyage dans nos cerveaux auquel nous convie l’auteur Jerome Loubry avec un art consommé de la pirouette qui déstabilise. Notamment dans un final au premier abord déroutant, voire décevant, mais qui donne à tout le livre une puissante logique.

Deux petites faiblesses, cependant, à mes yeux. Une écriture simple, directe, sans fioritures littéraires, à l’image d’un Harlan Coben qui reste concentré sur son scénario. Et une évolution finale qui supprime toute forme d’empathie pour les personnages, ce qui est quelque peu frustrant. Surtout que le drame de l’enlèvement d’enfants est sans doute ce qui provoque le plus le phénomène d’identification et d’apitoiement, gages réels d’adhésion du lecteur. Ce dernier est donc laissé en plan, avec son empathie qu’il doit ravaler et remettre dans le magasin de son cerveau. Pour lui substituer une autre émotion, à savoir l’admiration pour un artiste, prodige du tour de passe-passe. C’est un final somme toute un peu froid qui nous laisse sur notre faim de condoléance, au sens littéral du mot, « souffrir avec » l’autre.

« Les refuges » n’en restent pas moins un bon livre, à recommander chaleureusement pour tous ceux qui aiment se faire renverser, voire culbuter comme des quilles sur le bowling de nos compréhensions rapides.