La revanche des Barbares

L’or brille à nouveau… Les fonds aurifères ont gagné +40% depuis le 1er avril. Le placement détesté de Warren Buffet revient dans les rayons du supermarché « Finance ». Retour de la relique barbare…

Un gérant aurifère me racontait, il y a quelques années, que l’ensemble de l’or extrait depuis l’origine des temps, s’il devait être fondu en un seul lingot, représenterait un cube de vingt-sept mètres de côté. Réalité ou mythe, peu importe ! L’image était belle pour symboliser le caractère fini du placement. Le même potentiel pénurique que le bitcoin, mais avec, en plus, toute l’histoire affective de l’humanité qui a toujours adoré la vieille relique, de Cléopâtre aux prospecteurs du Klondike.

Nous sommes près de huit milliards d’humains à tourner autour de ce cube. Des industriels qui apprécient ses qualités comme composant très fiable; des particuliers qui aiment faire plaisir à leurs femmes; des banques centrales qui veulent investir leurs réserves autrement que dans des devises étrangères dont elles savent pertinemment qu’elles sont devenues des assignats révolutionnaires; des investisseurs qui veulent protéger leur portefeuille… Oui protéger, l’idée n’était pas très consensuelle ces derniers temps. En novembre dernier, je dénonçais dans un article « Fallait-il suivre les quatre cavaliers ? » la complaisance de nombreux investisseurs et leur difficulté à s’extraire du cocon ouaté que leur avaient offert les Banques centrales. Et pourtant, un peu de mémoire aurait suffi pour savoir qu’un monde perclus de déficits était en situation de fragilité. A la merci d’un événement imprévu pouvant affecter durablement son équilibre précaire. Cela aurait pu être la faillite d’une banque chinoise, l’écroulement d’un grand Emergent, ou un grave tremblement de terre au Japon ou en Californie. Ce fut un petit virus planétaire…

Nous savons depuis 1987 que la bourse est sérieusement secouée par des accidents de parcours brutaux. La journée du 19 Octobre 1987 ( -22,6% sur le Dow Jones en un jour, chute inégalée à ce jour, réalisée pourtant sans la caisse amplificatrice d’internet et des robots de marché ) a marqué au fer rouge le jeune cadre de la finance que j’étais. Le métier dans lequel je m’engageais, comportait des risques. Il allait falloir les assimiler.

Il y avait, ces dernières années, assurément un constat déstabilisant de voir que toutes les classes d’actifs convergeaient dans le même sens. La corrélation croissante entre actions, obligations et immobilier était un mauvais signe ( cygne ? ). Comment allait-on pouvoir se préserver des risques ? La gestion Long / Short ayant perdu son pouvoir discriminant, les devises fortes ayant atteint des niveaux insupportables pour leurs économies domestiques, l’or étant relayé au rang des antiquités chéries des seuls sexagénaires ?

Certains gérants n’ont pourtant pas démissionné. Ils ont travaillé leurs risques, les diverses corrélations entre actifs, ils ont échafaudé des scénarios, se sont affranchis des consensus. Je suis ainsi très admiratif pour Jonathan Ruffer qui dans son fonds « Total Return » a réalisé une performance époustouflante de +2% en mars dernier, et s’affiche aujourd’hui à +3,8% en 2020. L’or y est pour beaucoup, mais pas seulement, les obligations indexées sur l’inflation ayant bien aidé. Il n’est heureusement pas seul, mais c’est un sacré ballon d’oxygène, quand beaucoup de fonds diversifiés sont aujourd’hui dans le rouge sur les cinq années écoulées. Des remises en question s’imposent assurément dans l’Asset…

Un stratège soulignait, il y a peu, que nous étions sans doute pour l’or au début d’une période de hausse séculaire, un peu comme l’immobilier en 1982, quand a commencé l’ébouriffante baisse des taux qui a constitué le principal stimulant de notre environnement professionnel à tous. Un environnement atypique qui a atteint sa fin avec les taux négatifs. Place maintenant aux risques et à notre capacité à les gérer au mieux.

L’or continuera à avoir mes faveurs. Son cours n’est dépendant d’aucune décision politique, d’aucun passif d’organismes publics; en plus il est potentiellement mobile et peut être mis à l’abri de l’avidité de hackers et autres états impécunieux. Bien sûr, je continuerai à m’intéresser à des aventures professionnelles plus stimulantes, des success-story de la Tech ou de la Pharma, des histoires d’entrepreneurs qui n’aiment rien tant que créer, découvrir, faire rêver… Mais je n’ai aucune fausse pudeur à m’éloigner du consensus, quitter à fâcher Warren Buffet, notre père à tous…