« Monte Cristo », vénéré des Ouzbeks…

Quand la lecture appelle la lecture… Ma dernière critique portait sur un merveilleux récit de voyage de Philippe Valery, parti à pied jusqu’en Chine. Là, au coeur de l’Ouzbékistan, il avait rencontré un quidam interrogé sur ce que représentait la France pour lui : « le Comte de Monte Cristo ! » fut sa réponse… Peut-on ne pas bien connaître une oeuvre littéraire qui représente son pays au bout du monde ? Non bien sûr… Et de m’enfiler avec gourmandise ce gros pavé de notre littérature.

Monte Cristo est le roman de la vengeance. Un sujet qui parle à tous, surtout quand il s’enrobe d’une narration foisonnante, riche de péripéties et de digressions où le kaléidoscope tourne abondamment avant de composer une trame romanesque. Edmond Dantes, emprisonné injustement au château d’If, réussit à s’évader dans des conditions rocambolesques. C’est ce que nous connaissons tous de l’histoire. Mais la vengeance va être très longue à se mettre en place. C’est un plan machiavélique, car justement il ne s’inscrit pas totalement dans un plan d’ensemble. Dantes, devenu le Comte de Monte Cristo, va obtenir la plus complète des vengeances, quasiment sans coup férir, juste en tirant parti des faiblesses de ses trois ennemis. Comme ces arts martiaux asiatiques où il ne faut qu’accentuer le mouvement de l’adversaire pour le faire plier.

Si Monte Cristo a eu un tel retentissement planétaire, c’est sans doute parce que l’esprit de vengeance est le sentiment humain le plus couramment partagé. Et l’esthétique de cette vengeance réjouit tous les coeurs, à plus forte raison quand elle se fait sans violence. Un rejet par la société, une réputation brisée ou la ruine chez un banquier indélicat sont des meurtrissures beaucoup plus cruelles qu’une balle expéditive. Or, dans cette exercice de construction de la vengeance, Alexandre Dumas sait nous tricoter de la dentelle.

Son personnage de Monte Cristo est un des plus épiques de notre littérature. Jeune homme anonyme broyé dans un étau judiciaire, il va se construire au fil de ses souffrances pour devenir un être surnaturel, doté d’une richesse indécente qui le rend insaisissable. L’homme est pétri de principes et ses réactions sont parfois marquées d’un esprit chevaleresque hors d’âge ( de manière générale, Dumas donne beaucoup d’emphase dans les relations humaines de ses personnages, y compris chez les mauvais garçons ). Mais Monte Cristo a un charisme qui attire à lui tous ses interlocuteurs comme des insectes autour d’un puits de lumière. Il est flamboyant et imprévisible. Irrésistible aussi car il a la sagesse d’une vie reconstruite à partir de rien.

« Le Comte de Monte Cristo » est le roman où les injustices de l’existence sont impitoyablement corrigées. C’est le roman qui confond les cyniques, les ambitieux et les hypocrites. Tous ceux qui s’arrogent les meilleures places au soleil, au prix de malhonnêtetés et de malversations. On en connaît plein… Est-ce si étonnant finalement que ce soit un des romans les plus populaires, au point de faire vibrer même de lointains Ouzbeks ?