Joker, clown triste très contemporain…

Joker m’a laissé un sentiment partagé… Il faut dire que je suis assez hermétique au monde des films Marvel, en particulier des Batman. Je ne suis pas assez grand enfant pour adhérer aux histoires des super-héros, et a fortiori des super-méchants. Le personnage de « Joker » m’était, pour ainsi dire, inconnu avant le film…

Oui, mais voilà, les critiques sur Allo-Ciné étaient dithyrambiques et puis, il y avait en tête d’affiche Joaquin Phoenix, sans doute un des meilleurs acteurs de sa génération.

Dieu merci, le film n’est pas un film d’action avec des personnages qui s’ingénient à détruire la planète, et d’autres à la défendre. C’est un film très intimiste sur la psychologie d’un tueur en devenir. Pour ainsi dire un film d’auteur qui joue sur les couleurs comme jamais, avec des images d’une grande beauté. Comment ne pas être touché par la détresse de ce clown qui cherche pitoyablement à se faire une place dans une société qui le rejette ? Ce joker est un être très sensible confronté à une société de la performance où les faibles sont systématiquement écrasés. Robert de Niro, stupéfiant de normalité télévisuelle dans un rôle d’animateur de talk-shows ironiques, symbolise bien ce modèle où l’on construit sa notoriété aux dépens des autres ( toute référence à des présentateurs bien connus ne serait que fortuite ). Faute d’exutoire, le Joker plonge dans le ressentiment. Et les derniers remparts familiaux et affectifs qui étaient ses garde-fous ( au deux sens du terme ) sautent les uns après les autres.

Cela donne lieu à un final esthétique et violent où le film rejoint la démesure des films de héros et d’anti-héros. Une fin très belle, reconnaissons-le, mais en même temps ambigüe. Car, lorsque le générique du film finit de défiler, on se réveille en réalisant qu’on vient de voir une ode à la violence où le personnage principal est un « méchant » cruel et cynique en faveur duquel le spectateur a vibré, comme autrefois les jeunes filles pour les jeunes premiers des westerns des années 50.

Cette inversion des valeurs qui survient dans une époque où l’on ressent un malaise général lié à la perception d’une fin de civilisation, est gênante, et en même temps, symbolique. On peut comprendre que des milliards de musulmans ne veulent pas adhérer à cette société qui magnifie le crime et la folie. Donc, au risque de passer pour un affreux réactionnaire, j’assume n’avoir guère goûté ce film. Mais la prestation hallucinante de Phoenix et l’image très léchée de ce film justifient au moins trois étoiles.